LA LIBRAIRIE
D'ARCADIE
à La Nouvelle Orléans
Autant il est facile pour un européen, un africain ou un oriental, de ne pas s'extasier devant les prétendus bienfaits de la société Yankee lorsqu'il met les pieds à New-York ou à Los Angeles, autant il lui sera difficile de résister à l'atmosphère moite, sensuelle et musicale de La Louisane. Car sur ce territoire nostalgique et moderne le francophone ne met pas les pieds: il y met la langue. Certes, Monsieur de Bienville, qui a fondé la cité vers 1718, n'est plus qu'une ombre qui danse sur les murs au rythme du Jazz, Bonaparte a vendu depuis 1803 le bien d'autrui à des esclavagistes qui usurpaient le nom d'américains, et les Espagnols ont eu longtemps leur mot à dire, mais la présence française semble avoir marqué l'esprit de New-Orleans plus que toute autre. Cette sorte d'hallucination collective à le triple mérite d'être parfaitement inoffensive, de stimuler l'imagination créatrice, et de laisser la porte ouverte à toutes sortes de transes qui seraient partout ailleurs victimes des lois puritaines d'un pays qui a tellement peur de ne plus croire en Dieu qu'il écrit "In god we trust" en guise de pense-bête sur son fameux billet vert. Comme notre francophone en voyage, l'américain moyen qui déambule dans les rues du VIEUX CARRÉ, sous les balcons de dentelle des vieilles maisons créoles, n'est plus tout à fait sur ses terres. "Toulouse Street", "Bourbon Street"...sont des vocables aussi exotiques pour la langue Française que pour l'Anglaise. "The French Quarter" est en quelque sorte un lieu à part où se rencontrent et se métissent les paroles, les musiques et les cuisines. Pendant deux siècles environ, les habitants de La Nouvelle Orléans ont peu ou prou écrit et parlé le Français, colons et fils de colons, acadiens chassés du Canada lors du "Grand Dérangement" (et qui deviendront les Cajuns), immigrés et voyageurs venus de France. Mais si l'on y croise aujourd'hui des porteurs de tee-shirts "Laissez les bons temps rouler !", si l'on y passe ses e-mails au "Bastille Computer Café", si le paysage linguistique visuel est décoré de mots francophones qui brillent comme les perles des colliers du Carnaval, il est bien rare d'y entendre la langue de Voltaire - sauf à fréquenter la haute société locale, qui adore les antiquités. Dans ce paysage nostalgique et vivant à la fois, le visiteur sensible aux fantômes de la ville devra se laisser guider jusqu'au 714 Orleans Street. Arrivé là, sous l'enseigne des "Arcadians Books and Prints", il poussera la porte de LA LIBRAIRIE D'ARCADIE, royaume soigneusement encombré de livres, et dont le Régent s'appelle Desmond RUSSELL. Après des études universitaires dans le Sud de la France, cet américain francophile a ouvert, en 1981, l'une des dernières - sinon la dernière - librairie de La Nouvelle Orléans présentant force ouvrages rédigés en Langue Françoise. Un tract de son établissement résume la situation: «Nous vous prions de venir fouiller nos livres louisianais d'histoire, de cuisine, guides et romans - et plusieurs rayons remplis de livres français d'occasion de tout genre». Ne refusez donc pas cette invitation, et entre deux piles d'ouvrages à découvrir, deux étagères plus chargées que les vaisseaux du roy, n'hésitez pas à engager la conversation avec Desmond RUSSELL: un hôte aimable, compétant, et somme toute trop modeste pour un grand résistant de la francophonie américaine et internationale !
textes et photos © Christian Lavigne 2000-2001 |