=) HABILLER:
une foi sénégalaise qui déplace des montagnes...de tissus (=
NDEME/DESIGN
RENCONTRE ART-ARTISANAT
La recherche de la perfection

 Au Sénégal, les statuettes et les masques sont les mêmes depuis plus de vingt ans. Et pire, ils sont copiés selon des modèles créés dans d'autres aires culturelles africaines. Il se pose alors la question de l'innovation dans la création du produit de l'artisanat d'art au Sénégal. Comment innover à partir du patrimoine culturel local? Sans tambour ni trompette, les habitants du village de Ndème (département de Diourbel, région centre du Sénégal) travaillent comme dans une fourmilière. Sous la supervision d'un marabout qui allie le guide des disciples et la direction d'une entreprise qui fait du résultat. Ceci explique peut-être cela. Rencontre entre art et artisanat.

Par Demba Silèye DIA, Journaliste culturel, Dakar, Sénégal

Le village de Ndème (département de Bambey, région de Diourbel, centre du Sénégal) a bâti sa réputation sur le njaxas (lire ndiakhass – patchwork) ces habits faits de chutes de tissus rapiécées. Ils sont souvent portés par les baay faal (une partie de la secte musulmane du mouridisme). Le mouridisme est fondé par Cheikh Ahmadou Bamba.
 

Le groupe de rap BAMBA-J-FALL
en tenue ndiakhass
(mélange de plusieurs morceaux de tissus)

Un séminaire s'y est tenu, réunissant le designer Ismaïla Diouf, les représentants de la Chambre des métiers de Diourbel et du Conseil sénégalais des chargeurs, le designer Momar Ndoye, chef du département des arts plastiques à l'Ecole nationale des arts de Dakar et le plasticien Serigne Mbaye Camara, pour "aider au développement du njaxas et du cuir, pour mieux les ouvrir au marché international, à l'exportation, car on a remarqué que les  oeuvres les plus exportées sont le cuir et le textile. Les artisans font de belles choses, mais il faut qu'ils puissent innover". Ce qui fait l'importance du patrimoine qui, malheureusement, est mal exploité au Sénégal. A Dakar, les statuettes et les masques qu'on y vend sont les mêmes il y a vingt ans. Et le problème est qu'ils ont copiés selon les modèles créés dans d'autres pays qui vont les vendre directement et moins cher à l'étranger. Pendant ce temps, les Sénégalais qui copient à partir des catalogues, deviennent les esclaves de ceux qui créent. C'est là que se situe l'importance de l'innovation. "C'est pourquoi on a pensé à des esquisses de solution, en se disant que si on réunit les artistes et les artisans, cela pourra changer,  expliquent les animateurs du séminaire. Nous pourrons utiliser notre exception culturelle pour faire face à la mondialisation et nous imposer sur le marché mondial". C'est pourquoi le Cosec a auparavant participé à l'organisation de trois séminaires, le premier ayant eu trait au marketing des produits de l'artisanat comme le batik; le deuxième s'est appesanti sur la teinture; et le troisième a été aussi axé sur le batik. D'après eux, "un pays ne peut se développer qu'à partir de son artisanat et son art qui lui sont propres, et qu'on ne peut copier. Alors, si nous travaillons avec les chambres des métiers, nos objectifs seront atteints. D'ici deux ans, nous nous orienterons vers d'autres niveaux de formation et nous équiperons les chambres des métiers en matériel informatique et leur ouvrirons des pages sur Internet".

Les séminaristes soulignent que l'objectif est de donner à Ndème son cachet propre en travaillant à faire avancer la créativité, pour que le village ait, dans l'avenir, sa propre carte d'identité. Devant le chef du village Talla Guèye, le chef religieux Serigne Babacar Mbow révélera qu'il y a six ou sept ans, on ne faisait dans le village que du njaxas  en lagos (pagne local sénégalais) exposé dans la boutique ouverte à Paris par ses beaux-parents.  C'est parce que les clients ont voulu autre chose que la nécessité d'innover s'est fait sentir.
 

BAMBA-J-FALL
dans un autre costume
Baay Faal

Les ateliers: là où s'élabore le label "Ndème"

Le nom de Ndème renvoie désormais aux patchwork en tissu lagos qu'on voit accroché partout dans les marchés dakarois. Pourtant le tissu occupe un département parmi la dizaine qui constituent ce village artisanal. Ici, on s'active comme dans une fourmilière pour produire des tissus qui ont un grand succès en Europe et ailleurs. Des centaines de jeunes sont revenus de la ville pour se fixer (un mouvement inverse de l'exode rural) au village et trouver un emploi dans la galerie Maam Samba constitue d'une dizaine d'ateliers spécialisés dans différents domaines qui vont du tissage à la pyrogravure, en passant par la fabrique de percussions, le batik, le design métallique, la récupération métallique, les figurines en tissu, la coupe et couture, la menuiserie, la maroquinerie, la broderie, la teinture, etc.

L'atelier coupe et couture fabrique des sacs de couchage, chemises, trousses de toilette, couvertures et oreillers, porte-monnaie, gilets, pantalons bouffants, vestes matelassées Le tout en patchwork dont les teintures sont réalisées sur place, sur un tissu blanc. Rien ne s'y perd, car les chutes de tissu sont aussi récupérées et cousues. Selon le marabout Babacar Mbow, directeur de la galerie, une boutique est ouverte et vend des produits fabriqués dans ces ateliers. Dans l'atelier de tissage, on admirera des tapis de toutes les dimensions. Des tableaux frappés des cartes d'Afrique, du Sénégal et autres dessins d'animaux faits en tissu, des habits, des hamacs, des sacs. Les chutes de tissu servent à faire des sorties de bain, des jouets. Cette atelier dont la construction est financée par le Fonds canadien pour les initiatives locales (Fcil) a remporté le prix du Faso et la mention spéciale de l'Unesco lors du Vè Salon international de l'artisanat de Ouagadougou (Siao) en 1996. Face au cout élevé du fil, le promoteur envisage de planter du coton dans la zone.

L'atelier calebasses qui compte des partenaires en France et ailleurs, fabrique des casques, des instruments de musique, des abat-jour, de la poterie.

L'aire de tannage est composée de plusieurs bacs, allant de l'épilation à la décantation, en passant par le "déchaulage" (lavage de la chaux servant au tannage du cuir).

Au secteur menuiserie bois, le responsable indique qu'elle est révolue l'ère où on était obligé d'aller jusqu'à Bambey (onze kilomètres) pour acheter des bancs, pour s'asseoir. Aujourd'hui, même les gros meubles sont fabriqués sur place. De même qu’à l'atelier métallique où le chef Mbaye Thiam révèle avoir reçu des commandes de jouets (vélos, animaux mobiles) destinés à la France. "On a des boutiques en France, en Allemagne, en Suisse, en Espagne. Celle de Dakar qui était aux Almadies a été fermée à cause de son enclavement. On cherche un local plus ouvert", indique Serigne Babacar Mbow.
 
 

Un enseignant musicien
en tenue ndiakhass

Dans le feuillage, comme un nid d'oiseau

A partir de Bambey, on s'enfonce dans des champs de mil, sorgho, d'arachide et de haricots couverts de fleurs, de hautes herbes vertes (la piste en graviers construite par les populations étant devenue impraticable). Au bout de la piste longue de 11 kilomètres depuis Bambey (chef-lieu de communauté rurale) se trouve le village de Ndème. Un village niché dans feuillages verts comme un de ces nids accrochés sur les branches d'arbres construits par les oiseaux. De l'autre côté, se trouve la maison du chef religieux, l'intellectuel (il a son doctorat en sociologie dans une université parisienne) Serigne Babacar Mbow.

Après la tente à l'entrée de laquelle on voit un tableau indiquant "Garage de voitures", on entre dans une maison compartimentée: une parcelle pour les femmes, une autre pour les enfants, les animaux, les réunions, les prières ou encore les travaux domestiques. Et au fond, le bâtiment du chef, éclairée à l'énergie solaire. Serigne Babacar Mbow dira que le village a été fondé par son arrière-grand-père Meissa Thioro Gueye. C'est pourquoi il se nomme Ndème Meïssa Thioro. Celui-ci est originaire de Ndiawé (un autre village de forgerons non loin de là). C'est après avoir reçu son éducation islamique auprès de Ahmadou Bamba (Serigne Touba) qu'il a été chassé de Ndiawé par les paiens qui régnaient sur la zone jusqu'à Lambaye (7 km de là). Arrivé à Ndème, il crée son école coranique.

A cause de la sécheresse de ces dernières décennies, le village fut presque abandonné par les hommes qui ont préféré aller dans les villes chercher du travail. Mais depuis son retour de France où il étudiait, Babacar Mbow est parvenu à donner un autre visage à cette localité de 350 habitants. Il a commencé par y initier une pharmacie villageoise, réparer le puits. Puis, suivront les ateliers de design (ateliers Maam Samba, du nom d'un autre grand-père de Babacar Mbow dont la spécialité était de guérir les malades mentaux), le dispensaire, le forage.

Au moment où les populations se fixent ou reviennent chercher du travail dans cette localité, Ndème polarise une quinzaine de villages d'une population qui dépasse les 6 000 âmes sur un rayon de 6 km, qui sont tous membres d'une même association. L'idée est de décentraliser les ateliers au niveau de ces villages et de les équiper en matériel hydraulique, artisanal, etc., pour enrayer l'exode. 

Village artisanal de Ndème: Une solution à l'exode rural

"On va  décentraliser les ateliers dans les villages environnants pour y fixer les gens et leur permettre  de s'occuper en même temps de leurs champs et de leurs familles". Cette quête d'une solution à l'exode est permanente chez Serigne Babacar Mbow depuis qu'il est allé s'installer à Ndème, ce village dont le nom renvoie désormais aux patchworks.

Né à Dakar où il a fréquenté l'école primaire et secondaire avant de monter à Paris pour ses études universitaires, le marabout des baay faal de Ndème en est revenu avec un doctorat en sociologie. S'expliquant sur le pourquoi du choix de ce village, il lance: "Je savais que je devais poursuivre la mission de mon grand-père".

Celui qui a écrit des essais en français sur l'Islam, les rastas comprimés dans un grand bonnet, revient au bercail en 1984, avec sa femme française convertie à l'Islam et sa fille aînée Djamila. Il raconte: "Je n'ai trouvé pratiquement pas d'hommes dans ce village. Rien que des femmes et des enfants. Les hommes étaient partis en ville, à cause de la sécheresse. Ils ne revenaient que pendant l'hivernage pour cultiver des champs de mil, d'arachide". Sur place, il installe une tente et une case. Pour commencer, Babacar Mbow demande aux villageois de se constituer en association en vue d'améliorer leurs conditions de vie. C'est ainsi que les habitants de Ndème se sont mis à se cotiser (200 à 300 francs Cfa - 2 à 3 FF - par mois). Avec cet argent, sera créée une pharmacie villageoise, avec  le soutien de ses beaux-parents établis en France et ses frères, de même que ses partenaires suisses et le puits sera réparé. Le reste s'est fait progressivement. Ainsi, après avoir constaté que la plupart des originaires du village étaient des tailleurs en ville, il décida d'en employer deux ou trois dans la couture. Ils travailleront avec la seule machine dont disposait son épouse, pour faire dans le njaxas. L'entreprise se développe et les employés passent vite à six personnes. Les produits sont envoyés à ses beaux-parents qui ont ouvert une boutique en France.

L'expérience s'avérant payante et les perspectives se révélant bonnes, les jeunes de Ndème partis chercher fortune à Dakar et dans d'autres villes du pays rentrent au bercail. D'autres ateliers sont créés. Et Ndème est devenu aujourd'hui, un véritable village artisanal. Ce village qui était presque abandonné, a changé de visage. Ceci, selon Babacar Mbow, "grâce à la religion, à Serigne Touba et à l'entente entre les villageois (nous sommes tous des baay faal)". Une entente qui se retrouve même dans l'exploitation du champ de piment d'une superficie de 1,5 hectare dont chaque famille dispose d'une parcelle. 
 

Atelier de sor (tissage)
à Ndème

Les produits des ateliers Maam Samba sont, aujourd'hui, distribués en France, Suisse, Italie, Espagne et à l'atelier Keur Fall de Dakar. C'est grâce à toutes ces performances que, représentant la région de Diourbel au Grand Prix du président de la République pour l'artisanat de cette année, Ndème a remportè le concours, haut la main.

Face aux taxes auxquelles est astreint son village, Babacar Mbow dira qu'en tant que citoyens, les artisans vont se conformer, le moment venu, aux règlements, en rapport avec la Chambre de commerce. Mais son objectif est surtout de renforcer les acquis par le travail, la conscience et la constance.

Aïcha Cissé: La foi à la place du luxe

Entre le luxe parisien et la religion à Ndème, Pascale Blanchard a opté pour la seconde. Elle est devenue Aïcha Cissé et a mis ses ressources matérielles au profit de sa "famille adoptive"
Les pieds toujours nus, elle vous accueille vêtue d'un njaxas, le sourire aux lèvres, les cheveux comprimés dans un mouchoir de tête, avec à la main, un pot contenant de l'eau. Les salutations se font dans un wolof acceptable (même si ses enfants maîtrisent mieux cette langue qu'elle) que l'accent trahit à peine. A côté d'elle, on trouve d'autres Français, des Italiennes et autres personnes de race blanche portant des noms typiquement sénégalais. Aïcha Cissé née Pascale Blanchard ne veut point parler d'elle, ni voir sa photo dans les journaux, arguant que ce serait lui faire trop de faveur pour elle au détriment de ses "soeurs" de Ndème. Elle se contente de dire que "c'est Dieu qui m'a liée à Serigne Babacar. Nous nous sommes connus en France au moment où je n'avais de coeur que pour l'Afrique. Et Dieu, Serigne Touba, Cheikh Ibra Fall et Maam Samba Boroom Ndème me l'ont fait rencontrer".

Elle n'est pas du tout dépaysée; son intégration a été facilitée par les croyants qu'elle a trouvés sur place. Et d'ajouter: "Du moment qu'on est avec Serigne Touba, rien n'est difficile. Ici, on est dans un daara (Ndlr: école). C'est une dimension spirituelle qui nous a pousés à être ici. Alors tout devient facile. C'est évident qu'il y a des différences culturelles, donc il faut s'adapter, mais c'est aussi évident que si on suit l'enseignement de Serigne Touba dans l'Islam, tout devient facile. Ca permet de surmonter facilement les difficultés. Ici, il y a des croyants. Qualitativement, on vit beaucoup mieux ici qu'en Europe. Là-bas, il y a ce qu'il faut sur le plan matériel, mais pas sur le plan de la qualité de la vie, car la foi y fait beaucoup défaut". Avec l'hospitalité dont elle a bénéficié à Ndème, elle a l'impression d'avoir rencontré une famille. Ses parents viennent lui rendre visite. Surtout sa mère qui a beaucoup contribué au développement de l'artisanat à Ndème. C'est elle qui a ouvert la boutique Maam Samba à Paris, dans le Marais (l'une des premières africaines dans cette ville). Une boutique qui a vécu une dizaine d'années et qui a propulsé les artisans avant de "prendre sa retraite" il y a deux ou trois ans.     

©Demba Silèye DIA - 2000